Archives pour mars 2010

La parité au bordel!

Je suis resté sans voix à la lecture, dans un bistrot de la rue Saint Honoré, jeudi dernier, d’une page de titre du « Parisien »: on y évoquait l’éventuelle réouverture des maisons closes ! Il paraît que madame Chantal Brunel, une honorable députée UMP de Seine et Marne, s’apprête à plancher sur le sujet, à partir du 25 mars, au ministère de l’Intérieur. Nous voilà bien !

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Le célèbre « 106″ boulevard de la Chapelle, qui devint une annexe de… l’Armée du Salut, après la fermeture!

 

Michèle Barzach, ministre de la Santé en son temps, évoqua, elle aussi, la « réouverture » puis, en 1990, une certaine Françoise de Panafieu, patineuse à roulettes fraîchement élue vice-présidente du groupe UMP à l’Assemblée, avait remis le couvert : « Pourquoi la prostitution ne s’exercerait-elle pas dans des lieux précis, maisons closes ou autres structures ? »
C’est bien vrai. Un bel établissement avec pignon sur rue : « au panier fleuri » ou « aux bleuets » avec eau, savonnettes, et serviettes éponges à tous les étages, voilà une belle image de la modernité !
Comme nous aimons beaucoup les sondages, fort exacts, comme l’a démontré une récente actualité, le Parisien indique que « 59% des Français se disent favorables à la réouverture des maisons closes ».
59 % de queutards dans notre beau pays de France ! Tiens, v’là l’printemps !
En 1946, au moment de la « fermeture » en application de la loi Marthe Richard – une sacrée luronne – on comptait alors 1 400 bordels en France dont 300 dans la capitale. Depuis la loi sur la sécurité intérieure votée en 2003 qui crée le délit de racolage passif, une « gagneuse » risque deux mois de prison et 3 750 euros d’amende. Le client, lui, n’est pas poursuivi.
Cette proposition d’une réouverture des « maisons » – modernes – est tout de même surprenante quand on réalise qu’elle émane d’une femme. Doit-on rappeler à madame la députée que les bordels furent, en France – il le sont encore ailleurs – des lieux d’exploitation humaine particulièrement dégradants ?
Il suffit de lire « la fermeture », un excellent ouvrage de Boudard pour comprendre la triste réalité quotidienne que vivait les « filles » des bordels de France.

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Les petites serveuses du « ONE TWO TWO »

Pour un « Sphinx » propre et luxueux, ou un « ONE TWO TWO », (122 rue de Provence) combien de maisons d’abattage où les filles « connaissaient » plusieurs dizaines de « michés » par jour ?
Et savez-vous, madame la députée, comment finissaient – et finissent – les filles, vieillies, usées ? Doit-on vous faire un dessin et vous expliquer comment fonctionnait le « Dropol », un bordel parisien de putains en solde ?
« En remettant le débat sur la table, Chantal Brunel, qui vient par ailleurs d’être nommé rapporteure générale de la parité entre les hommes et les femmes, espère « sortir les prostituées de la rue et de la clandestinité ». Une situation qui, selon la députée favorise la violence, la clandestinité et la mainmise des réseaux mafieux. »
Tout cela est magnifique : la parité au bordel ?
Quant aux réseaux mafieux, ils ont été et seront toujours de la partie. La fille perdue, qu’elle soit Allemande, Polonaise ou Française, sera toujours une pauvre pute soumise à la volonté des hommes.
Alors, laissons les bordels fermés et, pour une fois, nous pourrons vraiment être fiers de la France, pays des « droits de l’homme » et… des femmes, ne l’oublions jamais.

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Le dessin de presse au Musée de Montmartre

La nouvelle exposition du MUSÉE DE MONTMARTRE

Du 23 mars au 27 juin 2010
Horaires d’ouverture :
Du mardi au dimanche de 11h00 à 18h00

 

Musée de Montmartre

12, rue Cortot 75018 Paris

 

Accès : métro Lamarck-Caulaincourt, Abbesses, Anvers et Funiculaire

Le Dessin de presse à la Belle Epoque :

Gill-Steinlen-Léandre

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« Combien me prenez-vous pour faire le portrait de mes enfants ?
15 francs la douzaine. Alors je reviendrai vous voir, je n’en ai
encore que 9 ! »

F.Poulbot, « Chez le photographe » in Journal d’Indre et Loire, 2
février 1902, (Photothèque Ducatez).

La caricature est l’expression la plus évidente de la satire. Elle existe depuis l’Antiquité mais c’est au XIXe siècle, avec l’agitation politique qui règne en France et l’instabilité des institutions, que les artistes trouvent une source d’inspiration abondante. De la société contemporaine émane les premiers dessins de presse satiriques, le plus souvent dans des journaux spécialisés dans la charge politique et sociale. Les premiers d’entre eux sont La Caricature & Le Charivari crées par le dessinateur et journaliste Charles Philipon en 1830 et 1832, et illustrés par Honoré Daumier notamment.

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« Monsieur et Madame Battant-Cloche et leurs enfants font un tour de promenade après les
Vêpres ».

Ch.Léandre, in Journal d’Indre et Loire,21 décembre 1902, (Photothèque Ducatez)

La censure fait rage et les artistes doivent alors user de stratagèmes afin de contourner l’interdiction et s’exprimer par la diffusion de leurs créations. Les jeux de mots, allégories, caricatures et autres insinuations font rage. Il faut attendre l’abolition des lois sur la presse et la censure, le 29 juillet 1881, pour voir exercer librement les critiques. C’est alors que de nombreux journaux voient le jour : La Lune, L’Eclipse, Les Hommes d’aujourd’hui, animés par André Gill, Le Grelot, Le Hanneton, Le Triboulet…La liberté d’expression grandissante, l’esprit festif, rebelle et farouchement indépendant qui règne alors sur la Butte, favorisent encore le développement de cette nouvelle forme d’expression qu’est le dessin de presse. Tantôt humoristique,visant à faire rire, tantôt corrosif, voire violent afin d’affirmer une opinion politique ou sociale, cette forme d’expression trouve, à Montmartre, un nouvel épanouissement.

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« Non, non… Msieur l’huissier! On ne
saisit pas les enfants!… »

A.Willette, Soirée Artistique du26 avril 1913, coll. Le Vieux Montmartre

Avec la diffusion sans précédent de la presse, les journaux : Gil Blas, L’Assiette au Beurre, Le Courrier Français, Le Rire…, descendent dans la rue et les nouveaux moyens de reproduction et d’exécution offrent à Steinlen, Willette, Forain, Léandre ou Poulbot, un terrain propice à l’épanouissement de leur satire contemporaine. La rue se familiarise avec les réalités, la presse se popularise. Chacun s’informe au gré des dernières charges publiées, illustrant la vie sociale de l’époque, l’actualité, une opinion politique, les différentes moeurs, offrant par là-même un panorama fidèle et caustique de la société contemporaine.

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Madame Anastasie personnifiant la Censure

par André Gill, 1874, (Photothèque Ducatez).

Renseignements et informations du public :
Tel : 01.49.25.89.39 Fax : 01.46.06.30.75 www.museedemontmartre.fr

CONTACT PRESSE : 01.49.25.89.35 ou infos@museedemontmartre.fr

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ELIOTT ERWITT

A toutes les femmes qu’on aime…

Brassens a mis en musique ce poème éblouissant, dédié aux femmes que nous pouvons rencontrer, et qui parfois, « inutile folie », nous laissent voir la mélancolie  » D’un avenir désespérant. » Je les aime ces passantes, frêles silhouettes, qui, sans le savoir, peuvent rendre, quand on les aperçoit, la journée beaucoup plus belle. Paris, un soleil printanier, un petit café, et vous, madame, mademoiselle, qui ne me regardez pas et que je vois s’éloigner dans la brume de mes rêves. Merci pour ces moments chipés à votre insu, et pour ces pensées miennes, bien éloignées de tout sentiment lubrique…

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Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu’on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu’on connaît à peine
Qu’un destin différent entraîne
Et qu’on ne retrouve jamais

A celle qu’on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s’évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu’on en demeure épanoui

 

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu’on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu’on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main

 

A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n’est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal

 

A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d’un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D’un avenir désespérant

 

A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor votre deuil
A celles qui s’en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d’un stupide orgueil.

 

Chères images aperçues
Espérances d’un jour déçues
Vous serez dans l’oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu’on se souvienne
Des épisodes du chemin

 

Mais si l’on a manqué sa vie
On songe avec un peu d’envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu’on n’a jamais revus

 

Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l’on n’a pas su retenir

(Antoine Pol)

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Bibi la Purée, roi des excentriques parisiens

Dans ma grande galerie des parisiens originaux et inclassables, Bibi la purée tient la meilleure place. Ce vagabond, aux moeurs étranges et par toujours recommandables, fut une grande figure du quartier latin. Un peu poète, un peu parasite, André-Joseph Salis – comme le patron du Chat noir – était parfaitement insupportable pour certains et merveilleux pour d’autres. Les témoignages sont si nombreux qu’ils ont permis de façonner un livre bizzarement fagoté : « Bibi-la-purée, compagnon de Verlaine » publié par Christian Gury aux éditions Kimé en 2004. On y retrouve quelques traits savoureux du bonhomme Bibi, roi de la Bohême traînant sa misère, sa fierté et sa bonne humeur dans les rue de Paris.
Bien que ses errances ne furent jamais teintées de la moindre revendication, Bibi me fait penser à Mouna, que j’ai rencontré vers la fin de sa vie. Des hommes étonnants, l’un comme l’autre, au verbe haut et insolite et à l’allure touchante. Cassés par les aléas de la vie, vieillits par les années, il pouvaient écrire sur un mur, à la craie, le seul mot qui convenait à leurs personnalités : LIBERTE !

 

J’ai retrouvé au fond de mes archives l’article ci-dessous, publié par Jules Dépaquit, un autre original qui fut maire de la Commune libre de Montmartre et dont j’ai parlé dans mon livre Montmartre des écrivains.

 

Un bel hommage rendu par un excentrique à un autre dans La Vache enragée N° 91, de novembre 1922.

 

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L’élégance du vagabond

BIBI-LA-PUREE

Personnage Hoffmanesque et déambulatoire, le sourire d’un Voltaire ingénu, le cheveu abondant et la dent rare, pendant un tiers de siècle, Bibi la Purée anima les rues de Paris de sa silhouette pittoresque.
Bibi la Purée n’appartient qu’à moitié à l’histoire de Montmartre, car il partagea ses faveurs entre ce bourg fameux et le quartier Latin. Deux ou trois fois par semaine, armé de son éternel parapluie, drapé dans sa vieille redingote miroitante, une fleur à la boutonnière, son inévitable mégot éternel aux lèvres, il grimpait d’un pas alerte les pentes abruptes de la rue des Martyrs pour venir s’asseoir à la terrasse de l’Auberge du Clou, hiver Comme été, et y savourait une tasse de café nature, car Bibi était sobre, sobre de paroles, sobre de boisson. Le patron du Clou, le jovial Bigot qui adorait toutes les excentricités, aimait voir cette figure sympathique orner sa terrasse et y provoquer la curiosité des passants.
La profession de Bibi la Purée était une des plus jolies que je connaisse et d’une grande facilité à exercer. Il était rentier. Quand il comparaissait devant les tribunaux pour de menus délits qui n’entachaient en rien son honneur professionnel, Bibi la Purée déclinait, à la demande du Président, ses noms, qualités et professions avec la plus exquise complaisance.
- « Bibi la Purée, seigneur de Salis et autres lieux. Et rentier! » ajoutait-il avec orgueil.
Le véritable Salis, Seigneur de Naintré et de Chanoirville-en–Vexin, qui n’aimait pas qu’on abusât de son nom, menaçait de ses foudres qui étaient, en l’ espèce, des poings solides, le présomptueux Bibi, qui évitait soigneusement de. passer rue Victor Massé où l’illustre seigneur tenait son castel. D’ailleurs, le pauvre Bibi était un petit rentier. Il possédait en tout et pour tout une rente annuelle de quatre cents francs. Et il n’était rentier qu’un jour dans l’année, le jour où il touchait sa rente qu’il dilapidait joyeusement dans le temps que la Terre met à faire sa demie révolution autour du soleil. Heureusement qu’il la touchait le 21 juin, le jour le plus long de l’année. Il était ainsi rentier plus longtemps.
-« Je mène, disait-il, pendant un jour la vie d’un millionnaire. Le reste de l’année, je m’en souviens et j’attends sans impatience, car je suis philosophe, mon autre jour de millionnaire. Aussi bien, ai-je horreur des années bissextiles . » Il ne faudrait pas croire que Bibi la Purée fut un désoeuvré complet. Non, il avait un métier, mais qu’il n’exerçait que rarement et quand l’occasion de le faire se présentait. Il cirait les chaussures. Mais pas à tout le monde! Il n’avait qu’un unique client sur terre, le grand poète Verlaine, et ne consentait à fournir que celui-là.

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Bibi en marche

Chaque fois qu’ il pouvait se trouver dans la rue en présence de Verlaine, il prenait son pied – c’est le cas de le dire. – Bon gré, mal gré, il fallait que l’infortuné poète passât par les brosses de Bibi qui le cirait éperdument. Et si Verlaine avait le malheur de vouloir récompenser son petit travail par le don de quelques sesterces, Bibi se drapait dans sa dignité et les refusait d’un geste d’empereur outragé.
Verlaine, qui n’était pas d’une élégance raffinée, avait fini par éviter prudemment les rues et boulevards où Bibi le guettait, armé de ses impitoyables brosses qu’il dissimulait dans les poches des basques de sa redingote.
Un jour même Verlaine, pour le décourager, sortit pieds nus. Bibi se précipita à ses pieds et … les lui cira.
Verlaine, à partir de ce moment, n’opposa plus aucune résistance à Bibi et se résigna à son sort.
Cire! disait-il à Bibi quand il l’apercevait, en tendant son pied.
Il lui parlait comme à un roi.
D’ailleurs, je pus juger un jour par moi-même le désintéressement de Bibi.
Un après-midi que je l’avais rencontré à la terrasse du « Clou », il remarqua la vétusté de mon chapeau, et le lendemain, il m’en apportait une vingtaine à choisir, de toutes les formes, de toutes les dimensions, de toutes les couleurs et de toutes les époques. Aucun ne m’allait. Faut croire que j’ai une drôle de tête! Il me les laissa tous et s’en alla désespéré. Un instant l’idée me vint de m’établir· chapelier, mais toutes réflexions faites, cette idée me sortit de la tête. Je n’ai aucune aptitude pour le Commerce.
Une autre fois, m’étant attardé en sa compagnie jusqu’à l’heure indue de quatre heures du matin, il voulut absolument me reconduire jusqu’à la porte de mon domicile, l’hôtel du Poirier, pour m’assister en cas d’attaque nocturne.
Arrivé à la porte de mon hôtel, je remerciai chaleureusement Bibi et voulus lui offrir une pièce de vingt sous. Je crus qu’il allait me faire un mauvais parti et se livrer sur moi à une « attaque nocturne. »
- Tu m’offense! cria-t-il, jamais avec les amis! Bibi ne mange pas de ce pain-là! Bibi n’est pas un mendiant!
Quoique râpé jusqu’à la corde, Bibi n’était pas d’un abord répugnant. Il se rasait assez régulièrement, prenait un bain dans la Seine de temps à autre et portait un linge qui, quoique douteux, n’atteignit jamais les limites de la décomposition totale.
Bibi n’était pas toujours commode et n’aimait pas se laisser manquer de respect. Une fois je l’ai vu corriger à coups de parapluie, son arme favorite, un quidam qui l’avait insulté.

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Mademoiselle… Voulez-vous partager ma statue?

Un jour, j’assistai, toujours à la terrasse du Clou, à une scène bien curieuse entre Bibi et un Arabe en costume national, que le dessinateur Henricus venait de ramener d’Afrique.
Tout à coup Bibi, qui était assis auprès de l’Arabe, aperçoit un énorme pou qui se baladait sur le revers de sa propre redingote. Il saisit délicatement l’insecte entre le pouce et l’index et le montrant à l’ Arabe : « C’ est à vous ceci, Sidi ? »
- Parfaitement, répond tranquillement l’Arabe, qui le lui reprend des mains et le repose froidement sur son burnous.
Vous voyez par cette anecdote, que Bibi avait le sentiment exact de la propriété.
Bibi était très galant avec les dames. Il détachait fort souvent de la boutonnière de sa redingote le bouquet de violettes ou l’oeillet rose qui s’y fanait, pour l’offrir à une belle personne du sexe féminin. Il y avait du Don Quichotte en lui.
Un beau dimanche, sous la présidence de Georges Courteline qui n’était pas encore commandeur de la Légion d’honneur, on couronna un poète maintenant oublié, César Leprince, sur le tas de sable qui surmontait le rond-point qui fait face à l’auberge du Clou, et pour corser la fête, on élit Bibi la Purée « rosier » de Montmartre. Il fut très digne et très acclamé dans ce rôle.
D’ailleurs on Soupçonna toujours Bibi d’être mort « vierge et martyr ». Il était galant, il n’était pas amoureux. Il ne faut pas confondre intelligence avec gendarmerie.
Bibi était une espèce de saint. On ne lui connaissait aucun vice. Il ne buvait pas, ne fumait que des cigarettes éteintes et ne disait jamais de mal de son prochain. Il adorait la lecture, la liberté et le grand air.
Des journées entières on le voyait sur les quais ou sous les galeries de l’Odéon, feuilleter de vieux bouquins ou de jeunes revues.
Ses domiciles étaient vagues et indéfinis. L’époque du terme le laissait indifférent. Car jamais les voûtes des arches du Pont-Neuf ou les bancs du boulevard Saint-Michel n’ont présenté leurs quittances de loyer aux locataires qu’ils abritent ou soutiennent. -
Bibi était le noctambule par excellence. Il dormait de préférence le jour, dans des endroits frais abrités du soleil, avec la rumeur de la grande ville au-dessus ou autour de lui.
La campagne, bien qu’il aimât les fleurs, l’attirait peu. Il lui préférait les ombrages du Luxembourg, les moires de l’eau de la fontaine Médicis, les quinconces peuplés des blanches statues de nos reines aux robes de pierre, aux majestueuses attitudes figées. Il passait au milieu des étudiants, des grisettes et des rapins, comme un personnage d’une époque éteinte, le spectre d’un Voltaire bénévole dont il ne serait plus resté que le sourire et dont la malice se serait envolée. Il allait souvent s’asseoir en face de la statue de ce dernier, et Voltaire et Bibi s’envoyaient leur plus gracieux sourire. Mais celui de Voltaire était fixé par l’éternité et par Pigalle.
Comme la plupart des poètes, des rêveurs et ces philosophes, Comme son Dieu Verlaine, Bibi la Purée mourut à l’hôpital.
Sa mort fut tragiquement belle.
Depuis longtemps, dévoré par la fièvre, il était visité d’affreux cauchemars peuplés des fantômes de sa vie passée et s’agitait entre les draps de son lit de douleur sans pouvoir y trouver le repos que la vie ne lui avait jamais donné et que la mort bienfaisante et éternelle était près de lui accorder.
Un jour, pendant la visite, il se leva debout sur son lit. Il s’était enveloppé dans ses draps qui lui faisaient un blanc vêtement sacerdotal. Il s’était coiffé de son vase de nuit qui figurait une tiare papale. L’infortuné, dans son agonie, se prenait pour Léon XIII avec lequel il avait une vague ressemblance. Car Léon XIII, ce croyant, et Voltaire, cet athée, se ressemblaient physiquement. Etrange anomalie propre à faire rêver ceux qui se penchent un moment, au risque d’en avoir le vertige, sur l’insondable abîme de l’Eternité. Alors d’un vaste geste circulaire, vénérable,majestueux et hiératique, pendant que les infirmières poussaient des cris d’orfraie, il les bénit, il bénit le médecin en chef, il bénit les infirmiers, il bénit les malades, il se bénit lui-même. Puis il retomba sur son lit.

Il était mort.

 

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